Humanitarian Aid Switzerland  | © Keystone/Anthony Anex

Chocolat, fromage, Cervin – et aide au développement

Onze bonnes raisons pour renforcer la coopération internationale
PAR: Patrik Berlinger - 05 novembre 2025
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La nouvelle stratégie de coopération internationale (CI) de la Suisse est en vigueur depuis le début de l’année. Elle définit les priorités de la coopération suisse jusqu’en 2028 en matière de coopération au développement et de coopération économique, d’aide humanitaire, de protection internationale du climat et de promotion de la paix et des droits humains dans le monde. L’objectif est d’éradiquer la pauvreté et de soutenir le développement durable à l’échelle internationale. Non pas par bonté d’âme, mais parce que l’art. 54 de notre Constitution fédérale le prescrit.

La Suisse consacre 2,8 milliards de francs par an à la CI, qui fait partie intégrante de sa politique étrangère et de sécurité. Cela représente 3% du budget de 91 milliards de la Confédération et environ la moitié de l’objectif fixé par l’ONU, qui est de 0,7% du produit intérieur brut (PIB) annuel d’un pays.

Peu avant Noël 2024, une majorité du Parlement a imposé des coupes budgétaires importantes dans la coopération internationale, permettant d’économiser 110 millions de francs. Pour les années 2026 à 2028, 321 millions supplémentaires ont été supprimés. Ces économies réalisées au détriment des plus pauvres sont aggravées par l’aide à l’Ukraine: des fonds autrefois réservés à la lutte contre la pauvreté, soit 375 millions par an, sont désormais utilisés pour la reconstruction de l’Ukraine. Une grande partie de cet argent va directement à des entreprises suisses actives en Ukraine.

En raison des coupes budgétaires, la Suisse met fin à sa coopération au développement avec le Bangladesh, l’Albanie et la Zambie. Elle réduit également ses fonds pour la coopération multilatérale au développement, ce qui a des conséquences pour la «Genève internationale», siège européen des Nations unies (ONU), plaque tournante de nombreuses organisations de la société civile (ONG) et cœur européen de l’ordre international multilatéral. Les coupes budgétaires touchent notamment ONU Femmes, ONUSIDA, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui lutte contre la pauvreté dans les pays particulièrement fragiles et promeut les Objectifs de développement durable (ODD).

Peu avant Noël prochain, le Parlement va débattre à nouveau des mesures d’austérité. En tant qu’organisation de coopération au développement et d’aide humanitaire, Helvetas entend démontrer pourquoi les coupes budgétaires sont une solution à court terme et pourquoi cela vaut la peine, particulièrement maintenant, d’investir dans la coopération internationale, la démocratie, la paix et la protection internationale du climat.

«Les déplacements forcés, la faim et le réchauffement climatique ne peuvent nous laisser indifférents»

Défis au niveau mondial

Après des décennies de progrès, la pandémie de coronavirus a entraîné le plus grand recul dans la lutte contre la pauvreté au niveau mondial depuis 1990. La guerre d’agression menée par la Russie et les conflits armés aggravent encore la situation. Aujourd’hui, 122 millions de personnes sont en fuite. Plus de 305 millions d’hommes, de femmes et d’enfants dépendent de l’aide humanitaire, mais l’aide internationale ne suffit que pour près des deux tiers d’entre eux.

Les phénomènes météorologiques extrêmes dus au réchauffement climatique compliquent les efforts internationaux en faveur de la sécurité alimentaire: une personne sur dix dans le monde est touchée par la faim. La démocratie est en recul partout et de plus en plus de gouvernements populistes et autocratiques entravent l’action de la société civile et des ONG et bafouent les droits humains et le droit international humanitaire. Face à ces nombreuses crises, la coopération internationale est plus importante que jamais.

«Le recul international de l’aide au développement est sans précédent»

Réductions au niveau mondial

L’USAID telle que nous la connaissions n’existe plus. L’été dernier, l’agence américaine pour le développement a été entièrement transférée au département d’État et son budget a été réduit de plus de moitié. Les expertes et les experts craignent que cela ne coûte la vie à plus de 14 millions de personnes au cours des cinq prochaines années. Des pays européens tels que le Royaume-Uni, la France et lAllemagne réduisent également leur engagement international.

Au total, la coopération internationale au développement diminuera en 2025 jusqu’à 17%, en plus des 10% économisés en 2024. Pour les pays les plus pauvres, cela signifie une perte d’un quart de l’aide au développement pour cette seule année. Cette tendance négative se poursuivra, malgré l’augmentation rapide des besoins humanitaires dans le monde. À cela s’ajoutent les mesures d’économie prises par les institutions multilatérales et les organisations des Nations unies, qui déclenchent une deuxième vague de réductions budgétaires pour les pays les plus pauvres, avec des conséquences très négatives pour les services vitaux dans les domaines de l’alimentation et de la santé, ainsi que pour la lutte à long terme contre la pauvreté et en faveur du développement durable.

«Le monde s’arme, la Suisse a d’autres atouts»

Avantage comparatif

L’une des principales raisons des coupes budgétaires européennes dans la coopération internationale est l’invasion à large échelle de l’Ukraine par la Russie. L’OTAN souhaite donc plus que doubler ses dépenses militaires pour les porter à 5% du RNB d’ici 2035. Etant donné que de nombreux pays sont fortement endettés, ils réduisent leurs dépenses dans d’autres domaines, tels que les services publics, la protection du climat, l’engagement humanitaire et la coopération au développement. Or, les dépenses militaires mondiales, qui s’élèvent à plus de 2,7 billions de dollars, sont déjà aujourd’hui environ 14 fois plus élevées que celles consacrées à la coopération au développement et à la protection internationale du climat (aide publique au développement, APD).

La Suisse doit apporter sa contribution à la sécurité et à la paix en Europe. Au lieu de miser sur une stratégie de défense conventionnelle qui coûte des milliards, elle pourrait compléter de manière judicieuse et efficace le réarmement européen par des investissements supérieurs à la moyenne dans la promotion des valeurs démocratiques et des droits humains, ainsi que dans la sécurité humaine et la lutte contre la crise climatique. Elle pourrait ainsi investir là où elle dispose d’un levier important, d’une grande expertise et où elle peut combler des lacunes au niveau mondial.

«La coopération internationale apporte des avantages concrets à la Suisse»

Intérêts propres

La Suisse soutient d’autres pays par solidarité, mais aussi par responsabilité et dans son propre intérêt. Premièrement, l’économie suisse en profite: la coopération internationale (CI) aide les entreprises suisses à conquérir de nouveaux marchés en améliorant les conditions-cadres politiques, économiques et sociales dans les pays concernés. Deuxièmement, la CI s’attaque aux défis mondiaux tels que le changement climatique, les flux migratoires, les pandémies et la disparition des espèces, ce qui profite également directement à la Suisse et à sa population. Troisièmement, la CI favorise la paix et la stabilité dans le monde en créant des perspectives dans les pays pauvres et en crise, afin que les populations puissent se construire un avenir sur place.

Selon un sondage de l’EPFZ, la population suisse apprécie grandement l’utilité de la CI, et la moitié d’entre elle souhaiterait même la renforcer: une large majorité estime que la Suisse devrait mener des activités de coopération au développement afin de promouvoir la sécurité mondiale, de lutter contre le changement climatique, d’accompagner les migrations dans le respect de la dignité humaine et de manifester sa solidarité avec les populations les plus pauvres.

«L’effet positif des projets de développement est avéré – et heureusement il est important»

Impact important

Dans le rapport de la Confédération, des évaluations indépendantes attestent un taux de réussite de 80% en moyenne pour la coopération internationale (CI). Et ce, bien que les programmes de développement soient naturellement mis en œuvre dans des régions structurellement faibles, pauvres et souvent instables. Depuis des années, l’impact de la CI est mesuré et documenté publiquement de manière plus détaillée que celui d’autres domaines tels que l’agriculture ou l’armée. La coopération au développement ne pourrait pas se permettre les scandales liés à l’informatique, aux marchés publics et autres, qui éclatent régulièrement dans l’armée.

Les programmes de développement sont continuellement adaptés aux besoins des populations locales afin d’obtenir le meilleur impact possible. Dans de nombreux pays, la CI contribue ainsi à créer de meilleures perspectives et à atténuer les conséquences du réchauffement climatique, des conflits et des crises. Sans la coopération au développement, la situation serait bien pire. Le Parlement et le Conseil fédéral devraient le reconnaître. Et la population suisse peut en être fière.

«L’argent suisse renforce la voix de la raison»

Une société civile forte

Dans les pays non libres et mal gouvernés, la coopération au développement vise à élargir la marge de manœuvre des acteurs et actrices de la société civile afin que les collaborateurs et collaboratrices des ONG locales, les défenseurs et défenseuses des droits humains et les journalistes, mais aussi les politiciens et politiciennes «indésirables» et les communautés autochtones opprimées puissent s’engager sans danger. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, les acteurs et actrices du développement ne travaillent pas seulement avec les gouvernements, mais aussi directement avec les autorités locales et les ONG, les entreprises innovantes et les PME, les organisations locales et les experts et expertes du monde scientifique. Lorsque le gouvernement manque de transparence, qu’il cherche à s’enrichir et agit contre sa propre population, des mesures de précaution particulières s’imposent.

Les gouvernements populistes et autocratiques ont le vent en poupe depuis 25 ans, dans de nombreux petits pays, mais aussi dans de grands pays comme la Russie, l’Argentine, l’Indonésie et la Turquie, voire en Inde et aux États-Unis. Au cours des trois dernières décennies, plus de 130 pays ont introduit des restrictions à l’encontre des ONG (internationales). Il devient ainsi de plus en plus difficile, voire impossible, pour les ONG de travailler dans les domaines des droits humains, de l’égalité des genres, de la lutte contre la corruption et de la protection de l’environnement. Les groupes attentifs et ambitieux qui collaborent avec des ONG actives à l’échelle internationale sont exposés à des répressions et mettent directement des gens en danger. Mais plus les gouvernements s’éloignent des valeurs démocratiques, plus il est important d’avoir une société civile indépendante, informée et engagée qui se fasse le porte-parole des groupes défavorisés, surveille les violations des droits humains et défende un développement inclusif et durable qui ne laisse personne de côté.

«Favoriser la migration internationale au lieu de l’empêcher»

Une migration digne

La migration ne peut et ne doit pas être «endiguée» mais, là où elle a lieu, elle doit être sécurisée et humanisée. C’est le rôle de la coopération internationale (CI): la Suisse contribue ainsi à garantir les besoins fondamentaux, à promouvoir l’éducation, la santé et la paix, à protéger les populations contre les conséquences du changement climatique et à renforcer la société civile. Lorsque cela fonctionne, les gens n’ont aucune raison de quitter leur pays d’origine. Et partout où des personnes sont contraintes de fuir, l’aide humanitaire contribue à les protéger.

La Suisse peut faire encore plus: un «levier» décisif pour atténuer les causes de la migration dans les pays pauvres consiste à concevoir une politique économique extérieure durable et favorable au développement. Cela passe par des accords commerciaux respectueux des droits humains et des réglementations sur les importations de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux qui favorisent la sécurité alimentaire dans les pays en développement. Cela implique également que la Suisse et les multinationales qui y sont implantées ne tirent pas profit du laxisme des réglementations en vigueur ailleurs au détriment des populations et de l’environnement. Et cela passe enfin par une politique fiscale équitable qui ne prélève pas les bénéfices réalisés dans les pays d’où proviennent, par exemple, les matières premières. Ce n’est que lorsque les gouvernements ont les moyens de fournir des infrastructures et des services qu’ils peuvent renforcer leur propre pays. En outre, seule une politique climatique vraiment ambitieuse peut contribuer à atténuer les conséquences du réchauffement climatique et, par conséquent, les migrations liées au climat.

«Minimiser le problème climatique ne le rend pas moins grave»

Protection climatique unies

Nous constatons déjà aujourd’hui que le changement climatique entraîne une pénurie d’eau, menace la sécurité alimentaire et cause des dommages économiques de plus en plus importants. Les populations pauvres, les minorités et les femmes des pays en développement, qui manquent de ressources et de résilience pour se protéger suffisamment contre les phénomènes météorologiques extrêmes liés au climat, sont particulièrement touchées. La terre se rapproche de plus en plus des points de basculement. Nous perdons de manière irréversible les récifs coralliens tropicaux et la forêt amazonienne, le courant de l’Atlantique Nord s’effondre, le permafrost fond, les calottes glaciaires de l’Antarctique occidental et du Groenland s’effondrent. C’est ce que mettent en garde 160 climatologues de 23 pays, qui réclament des mesures immédiates et sans précédent pour combler le déficit mondial en matière de protection du climat, afin que l’objectif de l’accord de Paris reste réalisable.

Dans le cadre de la coopération au développement, la Suisse apporte un soutien vital aux pays pauvres. Ce faisant, elle renforce non seulement la résilience des populations, par exemple en encourageant une agriculture écologique et économe en eau, en construisant des digues côtières et des réservoirs d’eau ou en mettant en place une gestion prévisionnelle des catastrophes. La coopération au développement contribue également à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple en encourageant l’énergie solaire et les chaînes de valeur durables, la mobilité électrique et un développement urbain à faibles émissions de CO2, résilient au changement climatique et agréable à vivre. Cela profite également à la Suisse, qui se réchauffe à un rythme supérieur à la moyenne et qui est elle-même de plus en plus confrontée à des phénomènes météorologiques extrêmes.

«Quand la main gauche donne et la main droite reprend»

Manque de cohérence

La coopération suisse au développement renforce le secteur privé. Ainsi, la DDC et le SECO mandatent par exemple des organisations de développement pour mettre en œuvre les projets qu’ils ont élaborés. Parallèlement, certaines ONG telles que Helvetas mènent leurs propres projets visant à renforcer l’économie locale. Elles soutiennent les start-ups et les PME innovantes en améliorant, en collaboration avec les parties concernées, les conditions économiques générales et l’accès aux possibilités de financement. Elles encouragent également la formation professionnelle des jeunes et la mise en place de chaînes d’approvisionnement équitables et propres. Lorsque le commerce local est florissant, il crée des emplois de qualité et une valeur ajoutée durable sur place, dans l’esprit de l’aide à l’autonomie.

Ces succès sont toutefois compromis: les banques suisses financent des projets gaziers et charbonniers à l’étranger nuisibles au climat. Et la discrète place financière encourage le transfert des bénéfices hors des pays pauvres ainsi que l’optimisation fiscale privée, qui font perdre chaque année d’importantes recettes fiscales à de nombreux pays en développement. Dans ce contexte, l’ONU parle de spillover négatif. Le fait que la Suisse affiche le deuxième spillover le plus élevé au monde est également lié au fait que nous vivons avec notre importante empreinte climatique au détriment des plus pauvres et de la planète. Un changement de mentalité s’impose.

«C’est la sécurité humaine, et non les armes, qui rend la Suisse plus sûre»

Sécurité globale

La sécurité ne s’obtient pas uniquement par l’armement militaire. Elle doit être pensée et atteinte de manière globale: la pandémie de Covid a montré qu’il existe d’autres menaces. Depuis quelques années, les conflits régionaux, les épidémies soudaines et les phénomènes météorologiques extrêmes font augmenter le coût de la vie, les inégalités et la dette publique des pays pauvres. Et ils aggravent la faim dans le monde et les mouvements migratoires involontaires dans les pays du Sud.

Dans ce contexte, la Suisse doit d’autant plus investir dans sa coopération internationale. En effet, la promotion civile de la paix et le respect des droits humains, la lutte contre la pauvreté et l’aide humanitaire, la protection du climat, le développement durable et le renforcement de l’économie locale dans les pays pauvres contribuent de manière avérée à la sécurité et à la stabilité dans le monde. De plus, comme le soulignent des expertes et experts reconnus en matière de sécurité, les coupes budgétaires dans la coopération internationale sont également imprudentes d’un point de vue géopolitique: elles laissent le champ libre à des pays comme la Chine, la Russie et les Émirats arabes unis, qui comblent le vide.

«La Suisse est suffisamment riche pour ne pas se permettre la pauvreté»

Investissement dans l’avenir

Les mesures d’austérité constituent un jeu dangereux dans la situation actuelle. En effet, le monde est confronté à de nombreux défis complexes: réduire les dépenses dans le domaine de la coopération internationale en cette période de crise multiple relève de la négligence. Ne pas agir maintenant coûtera plus cher à l’avenir.

En raison de la «menace de l’endettement», les politiciennes et politiciens conservateurs et bourgeois s’en tiennent strictement au frein à l’endettement, qui met en relation les dépenses et les recettes. Mais il existe aussi une autre approche, qui met en relation la dette et la puissance économique. Si l’on considère cette dernière, la dette suisse est en baisse et les mesures d’austérité sont loin d’être la seule option. Même avec un taux d’endettement légèrement plus élevé, la Suisse resterait parmi les meilleurs pays au monde, sans avoir à subir de pertes en termes de prospérité et de développement économique. La question n’est donc pas de savoir si nous pouvons investir dans un monde durable et stable, sans pauvreté ni souffrance, mais si nous le voulons vraiment.

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