La santé mondiale sous pression

Les économies réalisées par l'OMS menacent des millions de vies humaines
PAR: Patrik Berlinger - 03 juin 2025

Les États-Unis, mais aussi les pays européens, réduisent leur coopération au développement. Cela entraîne des répercussions négatives sur l'ONU, notamment sur l'Organisation mondiale de la santé. Le dégraissage de l'OMS à Genève menace des millions de vies humaines. Quant à la Suisse, l'affaiblissement de la « Genève internationale » lui fait perdre de sa force de frappe en matière de politique étrangère. 

Le 20 mai 2025, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu fêter un succès. Après trois ans d'âpres négociations, ses pays membres ont adopté un nouveau traité sur les pandémies au siège de l'ONU à Genève. Celui-ci doit permettre à la communauté internationale de mieux coopérer en cas d'épidémie mondiale et d'éviter les situations d'urgence sanitaire. Pour sauver des vies humaines, et ce à l'échelle mondiale, c'est précisément ce qui est décisif. Car, comme l'a averti le chef de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, «la prochaine pandémie n'est pas une question de si, mais de quand». 

Les gouvernements s'engagent à mettre en place leurs systèmes de santé de manière à détecter et combattre rapidement les épidémies. Tous les pays doivent avoir accès au matériel de protection, aux médicaments et aux vaccins. Ceux-ci doivent être produits rapidement et les pays plus pauvres doivent également en profiter. Les entreprises pharmaceutiques doivent partager leur savoir-faire («transfert de technologie») afin que les pays en développement puissent également produire des médicaments et des vaccins. 

Certains points restent toutefois en suspens en ce qui concerne le soutien aux pays pauvres. Ce sont surtout les aspects liés à la protection des brevets et au transfert de technologies qui sont controversés. Les points en suspens devront être clarifiés dans les mois à venir avant que le traité n'entre en vigueur. Ce sont les gouvernements qui décideront en fin de compte du succès du traité. Il est clair que celui-ci n'est bon que dans la mesure où les pays sont prêts à le mettre en œuvre. 

Le principal soutien à la santé dans les pays en développement

Petit retour en arrière: pour les populations les plus pauvres du monde, l'impact de la pandémie de coronavirus de 2020 a été dramatique. Divers problèmes se sont ajoutés au manque de vaccins dans les pays en développement: les chaînes d'approvisionnement ont été interrompues, des millions de petites entreprises ont fait faillite et l'économie s'est effondrée. De nombreuses personnes ont perdu leurs moyens de subsistance dans le secteur informel et la faim a fortement augmenté. On estime que 7 millions de personnes dans le monde sont mortes directement d'une maladie liée au coronavirus. Mais si l'on tient compte du nombre élevé de cas non déclarés, de données erronées et des conséquences indirectes, les chiffres réels sont nettement plus élevés

Le triste bilan de la pandémie de coronavirus met en évidence l'importance d'une coopération accrue entre les pays. Compte tenu des impondérables géostratégiques dus à l'actuelle présidence américaine, la conclusion réussie du traité sur la pandémie est d'autant plus réjouissante. Mais cela ne peut pas masquer le fait que l'OMS et l'ensemble de l'architecture sanitaire multilatérale des Nations unies (ONU) sont sous pression comme jamais auparavant. 

Les coupes dans la coopération internationale (aussi appelée aide au développement) dans les pays européens et en Suisse sont décisives. Mais le pire, c'est la politique étrangère et de développement disruptive des Etats-Unis: le président américain a supprimé des milliards de dollars de subventions à l'Agence américaine pour le développement international (USAID) et aux organisations de l'ONU – il a même annoncé le retrait de l'OMS à Genève. 

Appel conjoint à investir dans la santé au niveau mondial 

Avec près d'un quart de l'aide globale dans le domaine de la santé, les États-Unis ont longtemps été le plus grand soutien des mesures sanitaires dans les pays en développement. Leurs investissements ont par exemple largement contribué à réduire de moitié le nombre de décès dus au VIH dans le monde rien qu'entre 2010 et 2023. Sans les investissements américains dans la «santé mondiale», quelque 25 millions de personnes pourraient mourir au cours des 15 prochaines années, a récemment écrit la revue scientifique Nature, qui a estimé l'impact des réductions sur les programmes de lutte contre la tuberculose, le VIH, le planning familial et la santé maternelle et infantile. 

En Afrique subsaharienne en particulier, les coupes de l'USAID laissent un vide énorme: le choléra s'est ainsi récemment déclaré au Sud-Soudan parce que des cliniques ont été fermées. En Tanzanie, 500 000 dépistages de la tuberculose n'ont plus pu être effectués. Au Kenya, plus d'un million de personnes infectées par le VIH sont privées de médicaments parce que des centres de traitement ont été fermés. Et au Nigeria, la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme risque de reculer massivement. 

À l'occasion de la semaine mondiale de la vaccination, du 24 au 30 avril, l'OMS, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et l'Alliance pour les vaccins Gavi, basée à Genève (à laquelle le président Trump veut également couper d'importants financements), ont lancé une mise en garde urgente contre la désinformation sur les vaccins et les coupes dans leur financement. Il est temps d'investir dans la santé à l'échelle mondiale. Les gouvernements et les donateurs privés devraient maintenir leur engagement – même sans les États-Unis. En effet, les épidémies mondiales telles que la rougeole et la fièvre jaune, qui pourraient être évitées par la vaccination, sont en augmentation. D'autres maladies, comme la diphtérie, qui avaient longtemps été endiguées ou presque disparu dans de nombreux pays, menacent de réapparaître. 

L'OMS réduit la voilure et supprime des programmes 

Le budget annuel de l'OMS s'élève à un peu plus de deux milliards de dollars. Cela correspond à ce qui est dépensé en huit heures pour l'armement mondial. L'OMS est active dans 150 pays. Elle fournit une alerte précoce et une aide en cas d'épidémies régionales et mondiales. Elle soutient des campagnes de vaccination et conseille les pays pauvres sur les systèmes de santé. 

Après les coupes opérées au niveau international dans la coopération au développement, l'OMS est confrontée à de gros problèmes financiers et institutionnels. Certes, certains États membres sont prêts à payer un peu plus après le départ des États-Unis, le principal contributeur. Mais cela est loin d'être suffisant. L'OMS réduit ses départements de moitié. Inévitablement, elle sera donc moins présente sur le terrain et devra laisser plus de personnes sur le carreau. 

Toujours est-il que, contrairement à l'appel du ministre américain de la santé à abandonner également l'OMS, les autres Etats continuent de soutenir l'organisation d'une seule voix. C'est le cas de la Suisse: le 19 mai, le Conseil fédéral a annoncé qu'il lui accorderait 66 millions de francs supplémentaires au cours des quatre prochaines années. Au vu de la situation d'urgence dans laquelle se trouve l'architecture multilatérale de la santé, c'est un signe important. Un pas qui perd toutefois de sa pertinence si l'on considère que le Parlement est responsable, rien que pour l'année en cours, de coupes de plus de 30 millions dans les organisations multilatérales. Et les mesures d'économie suisses dans l'engagement humanitaire et à l'ONU se poursuivent

Une ONU forte est dans l'intérêt de la Suisse 

Avec l'affaiblissement de l'ONU, notre pays risque de perdre un instrument central de sa politique étrangère. En effet, la baisse des dépenses de développement des Etats-Unis et des pays européens ne touche pas seulement l'OMS, mais tout le site genevois de la diplomatie internationale et de la gouvernance mondiale dans des domaines tels que la paix, les droits humains, la migration dans la dignité, la santé, l'aide humanitaire et le développement durable. Selon Achim Steiner, directeur du Programme des Nations unies pour le développement et numéro trois dans la hiérarchie de l'ONU, les Nations unies sont confrontées à un démantèlement radical. La situation n'a jamais été aussi grave pour l'ONU. 

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