Les gouvernements doivent pouvoir investir dans l'éducation, la santé et la protection du climat. Mais pour cela, ils ont besoin d'argent. Or celui-ci fait souvent défaut car ils sont fortement endettés. Afin que les budgets nationaux des pays pauvres ne soient pas engloutis par le service de la dette, ils ont besoin d'un désendettement. L'idée de lier ce dernier à la protection de l'environnement ou à la lutte contre la pauvreté gagne du terrain. Que penser de ces « swaps » ?
Cet été, du 30 juin au 3 juillet, se tiendra pour la quatrième fois depuis 2002 une conférence de haut niveau sur le financement du développement. Compte tenu des budgets publics serrés et de la baisse de l'aide au développement, il s'agit pour les États membres de l'ONU de s'entendre sur des réformes du système financier et fiscal international. L'un des thèmes les plus brûlants de la conférence est le désendettement: comment les gouvernements endettés peuvent-ils réduire leur dette sans freiner les investissements dans le développement durable et la justice sociale?
L'endettement mondial augmente
De nombreux pays en développement sont confrontés à une crise de développement liée à l'endettement: le montant qu'ils doivent à leurs créanciers étrangers a atteint un niveau record de 11 400 milliards de dollars en 2023, ce qui correspond pratiquement à la totalité de leurs recettes d'exportation. La dette devient un problème lorsque les coûts de remboursement dépassent la capacité de paiement d'un pays. C'est aujourd'hui le cas de deux tiers des pays en développement, soit nettement plus qu'il y a dix ans.
La dette a fortement augmenté pendant la pandémie de COVID-19: pour compenser les conséquences économiques négatives et financer les mesures de santé publique, les pays en développement ont dû recourir à des emprunts. À cela s'ajoute le fait que les États déjà fortement endettés doivent contracter davantage de crédits afin de s'adapter au changement climatique et de réparer les dommages causés par celui-ci. Ce sont donc précisément les pays qui contribuent le moins à la crise climatique, mais qui en souffrent le plus actuellement.
Annuler ou restructurer les dettes
L'ONU avertit que près de la moitié de la population mondiale vit désormais dans des pays qui doivent consacrer davantage de recettes fiscales au paiement des intérêts qu'à l'éducation ou à la santé. Lorsque les gouvernements doivent rembourser leurs dettes avant de pouvoir investir dans les services publics et le développement durable, ce sont les citoyennes et les citoyens qui en paient le prix: hôpitaux délabrés, routes en mauvais état, manque d'écoles et services publics insuffisants.
Afin de créer une marge de manœuvre financière, un processus ambitieux de réduction de la dette est indispensable. Dès 2023, l'ONU a exigé une réduction de la dette d'au moins 30 %. Il est important que les créanciers privés participent à la restructuration de celle-ci. Pour améliorer la situation, une vieille idée refait surface: échanger les dettes contre le développement durable. Que faut-il en penser ?
Lier le désendettement à des programmes de développement ?
Dans le cadre d'un « échange » (en anglais « swap ») de dettes contre du développement, une partie de la dette d'un pays est annulée. En contrepartie, le gouvernement endetté s'engage à réorienter de manière ciblée et durable des fonds vers des programmes d'éducation, de santé, d'alimentation ou de protection de la nature et du climat. Le transfert des dépenses du service de la dette vers des objectifs de développement spécifiques augmente la marge de manœuvre financière des pays concernés.
L'idée des swaps s'est fait connaître avec la promotion de projets de protection de la nature dans les pays pauvres, c'est-à-dire la protection des forêts tropicales humides, des récifs coralliens ou des espèces animales menacées (Debt-for-nature). Depuis la fin des années 1980, 145 opérations d'échange de dettes dans le monde ont permis d'effacer 3,7 milliards de dollars de la valeur nominale des dettes. La plupart des swaps – 2,4 milliards de dollars – ont eu lieu en Amérique latine et dans les Caraïbes et ont été réalisés dans les années 1990 et à partir de 2020.
Dans le cadre des swaps bilatéraux, le pays créancier annule ou réduit la dette du pays débiteur, tandis que le gouvernement endetté met à disposition le montant correspondant pour financer des projets de protection de la nature. Par exemple, en 2009, les États-Unis ont conclu avec l'Indonésie un swap bilatéral d'une valeur de 28,5 millions de dollars, qui a permis à ce pays en développement de protéger ses forêts tropicales et de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Dans le cas des swaps multilatéraux, le créancier est par exemple la Banque mondiale. L'institution multilatérale annule ou réduit la dette des pays débiteurs, tandis que ceux-ci utilisent les fonds ainsi économisés pour financer des projets de protection de la nature. Exemple: après avoir entamé des discussions en 2012, le gouvernement des Seychelles a racheté en 2016 une dette de 21,6 millions de dollars auprès de pays industrialisés, financée par un prêt de l'ONG The Nature Conservancy et des subventions philanthropiques. En 2018, ce pays en développement a levé des fonds supplémentaires pour la protection de la nature en émettant des obligations d'une valeur de 15 millions de dollars, garanties par un crédit de la Banque mondiale.
Mécanisme intéressant, mais avec des limites
L'échange de la dette contre le développement peut offrir plusieurs avantages aux parties concernées: les swaps peuvent aider les pays pauvres à réduire leur dette extérieure et à améliorer leur accès aux marchés internationaux. Ils peuvent dégager des fonds pour des programmes sociaux et améliorer les conditions de vie de la population locale. Ils peuvent également contribuer à lutter contre le changement climatique et à protéger la biodiversité. Ce faisant, les swaps favorisent l'assistance technique et l'échange de connaissances.
Cependant, les swaps ne sont pas sans défis ni limites: ils impliquent plusieurs acteurs, ce qui peut rendre les négociations longues et coûteuses. Lors de la mise en œuvre des projets, il existe un risque de manque de transparence ou de responsabilité de la part des gouvernements. L'expérience passée a également montré que la durabilité et l'efficacité à long terme des projets de conservation de la nature ne sont pas toujours garanties. Souvent, les populations locales ont été trop peu impliquées dans les projets, ce qui a parfois donné lieu à des violations des droits humains.
Libération ou tromperie ?
Dans un contexte d'endettement croissant et de progrès insuffisants dans la réalisation des objectifs climatiques internationaux et des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, certains observateurs et observatrices considèrent les swaps comme une solution gagnant-gagnant. La prudence est toutefois de mise: dès le départ, la crainte d'une «ingérence néocoloniale» était présente, car les opérations de swap sont soumises à des conditions (conditionnalité). Ils confèrent aux créanciers du Nord global un pouvoir de décision plus important sur un pays en développement que s'ils effaçaient la dette sans contrepartie.
Les gouvernements se plaignent régulièrement que la souveraineté nationale est compromise lorsque les intérêts étrangers priment sur les besoins de développement locaux. Exemple: une terre riche en espèces rares pour les chercheurs et chercheuses internationaux et qui devrait être protégée par le gouvernement peut également constituer le moyen de subsistance des communautés autochtones ou une terre agricole propice à l'amélioration de la sécurité alimentaire locale.
Récemment, les « obligations bleues » (Blue Bonds) destinées à protéger l'environnement marin aux Seychelles, au Gabon et en Équateur ont fait l'objet de critiques. De plus en plus d'éléments indiquent que les swaps sont nettement moins efficaces que promis. Et comme les recettes des obligations ont été principalement utilisées pour le rachat de la dette, alors qu'une fraction seulement est effectivement consacrée à la protection des océans, des accusations de greenwashing ou d'impact washing ont été formulées.
Étant donné que le désendettement inconditionnel est inévitable dans les pays confrontés à de graves problèmes de solvabilité, les swaps ne peuvent être envisagés que pour un nombre relativement restreint de pays en développement. C'est pourquoi les opérations de swap ne peuvent se substituer au manque de financement international pour le climat et de coopération internationale au développement. Les pays qui ont une grande responsabilité climatique (par habitant) et un niveau de prospérité élevé devront continuer à fournir ces deux types d'aide à l'avenir. Notamment dans leur propre intérêt à long terme, afin de garantir un développement mondial aussi respectueux du climat, stable et durable que possible.