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Enlevés ou assassinés

Protection insuffisante des activistes des droits fonciers et de l’environnement
PAR: Patrik Berlinger - 02 octobre 2025
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Depuis 2012, environ 2300 activistes des droits fonciers et de l’environnement ont été assassinés ou ont disparu dans le monde. Ils s’étaient engagés contre l’expropriation des terres, la déforestation, le braconnage ou les projets miniers. Lors de la prochaine conférence sur le climat, qui se tiendra dans la forêt tropicale brésilienne, l’attention se portera sur les personnes tuées et disparues – il est grand temps d’améliorer la protection des militantes et des militants des droits humains.

Selon un rapport récent de l’organisation à but non lucratif «Global Witness», au moins 142 militantes et militants des droits fonciers et de l’environnement ont été assassinés dans le monde rien que l’année dernière, soit trois personnes par semaine. Depuis le début du recensement en 2012, le nombre total d’attaques s’élève à 2253. Ces personnes ont été attaquées parce qu’elles défendaient les droits fonciers et l’environnement. Alors que certaines se sont rebellées contre les entreprises extractives ou les grandes exploitations agricoles, d’autres ont lutté contre l’exploitation forestière illégale, les conditions de travail précaires ou l’accaparement des terres.

Global Witness recense également les défenseuses et les défenseurs des droits humains portés disparus depuis plus de six mois. En 2024, quatre nouveaux cas ont été signalés aux Philippines, au Mexique, au Honduras et au Chili. On connaît par exemple le cas de Julia Chuñil, militante chilienne des droits fonciers, disparue depuis près d’un an. Cette femme mapuche de 72 ans luttait pour les droits de propriété sur les terres de ses ancêtres. Elle a été menacée et a disparu. 

Le nombre de cas non recensés est élevé, de nombreux activistes et autochtones victimes de violences ou qui ont disparu n’étant pas enregistrés. Dans les zones de conflit, il est pratiquement impossible de vérifier les violations présumées commises à l’encontre des militantes et militants des droits humains. À cela s’ajoute le fait que, dans de nombreux pays, l’espace laissé à la société civile, qui critique également les rapports de pouvoir et les conditions-cadres politiques, se réduit de plus en plus (rétrécissement de l’espace civique). Par conséquent, la population a de plus en plus peur de s’opposer à celles et ceux qui nuisent à la terre, à l’environnement ou au climat.

Liens avec l’industrie du bois et l’exploitation minière, le braconnage et l’agroalimentaire

En 2024, l’exploitation minière et l’extraction de matières premières ont de nouveau été les secteurs les plus meurtriers, avec au moins 29 cas recensés. Elles sont suivies par l’industrie du bois avec huit cas et l’industrie agricole avec quatre cas. Le braconnage ou les projets de construction routière et d’infrastructure ont également donné lieu à des attaques mortelles contre des militantes et des militants.  

Un tiers de tous les cas enregistrés l’année dernière étaient liés au crime organisé. Les secteurs économiques illégaux prospèrent dans le monde entier, sapant l’État de droit, mettant en danger les militantes et militants des droits humains et menaçant des écosystèmes importants. En Amazonie, par exemple, des organisations criminelles sont responsables de corruption, de déforestation illégale et de graves violations des droits humains. Mais certains gouvernements sont également impliqués dans des actes de violence: selon Global Witness, la police et les forces armées ont commis au moins 17 meurtres. 

Dans la majorité des 22 pays où Global Witness a recensé des meurtres et des enlèvements l’année dernière, la liberté d’association, de réunion et d’expression des défenseuses et défenseurs des droits humains est restreinte, selon l’Alliance de la société civile et plateforme des droits civiques Civicus. Les cinq pays où le nombre d’assassinats est le plus élevé sont classés comme «opprimés» par Civicus (Colombie, Guatemala, Mexique, Philippines), à l’exception du Brésil, où la société civile est simplement «entravée». En 2024, quatre cas sur cinq se sont produits en Amérique latine, où la plupart des assassinats de militantes et de militants ont eu lieu depuis plus d’une décennie. Cependant, l’accès à des informations fiables est particulièrement difficile en Afrique et en Asie, de sorte que les chiffres documentés ne signifient pas nécessairement que la violence y est moins répandue. 

L’impunité reste un problème majeur: les familles des défenseuses et défenseurs des droits humains assassinés ou disparus voient rarement les agresseurs jugés. Avec un peu de chance, l’auteur ou l’autrice du crime – généralement un tueur ou une tueuse à gages – est arrêté et traduit en justice. Mais ceux qui planifient et financent l’attaque échappent généralement aux poursuites judiciaires: ils sont rarement inculpés et amenés à rendre des comptes. Il est clair que sans systèmes judiciaires efficaces, les commanditaires d’attaques meurtrières contre des défenseuses et défenseurs des droits humains sont rarement poursuivis. En Colombie, par exemple, un pays où le nombre d’homicides reste élevé, un peu plus de 5% seulement des meurtres de défenseuses et défenseurs des droits humains ont été élucidés devant les tribunaux depuis 2002. 

Facteurs déterminants des assassinats

Divers facteurs favorisent ces assassinats: la demande mondiale croissante en denrées alimentaires et en matières premières entraîne une concurrence pour les terres destinées à l’exploitation minière, à l’industrie du bois, à l’industrie agricole et aux infrastructures. Les entreprises, les fonds d’investissement et les acteurs étatiques procèdent à l’accaparement des terres, souvent sans consulter ni indemniser les communautés concernées. Les militantes et militants et les communautés autochtones qui s’opposent à ces pratiques se heurtent souvent à la corruption, qu’il s’agisse de juges véreux ou d’autorités qui facilitent les intimidations et les arrestations.

Dans de nombreux pays, y compris dans ceux dits développés, les discours toxiques sur les militantes et militants des droits humains et de l’environnement sont monnaie courante. Cela permet aux autorités de les criminaliser plus facilement, tandis que le public est prêt à accepter des lois rigoureuses et des sanctions sévères. Partout dans le monde, les activistes des droits humains et de l’environnement de tous horizons, y compris les scientifiques qui s’intéressent au changement climatique, sont victimes d’attaques haineuses, encouragées par des algorithmes délibérément polarisants sur les plateformes de réseaux sociaux des géants de la technologie.

Les activistes des droits humains sont souvent qualifiés d’«ennemis du développement», voire parfois de terroristes, de membres de bandes criminelles ou de «menace pour la sécurité nationale». De plus en plus souvent, les autorités, les multinationales ou les personnes influentes (politically exposed people, PEP) s’en prennent aux militantes et militants des droits humains et aux ONG (internationales) par le biais de campagnes de diffamation ciblées et de «poursuites stratégiques» (strategic lawsuit against public participation, SLAPP).

Des progrès lors de la conférence sur le climat à Belém?

Bien qu’elles ne représentent que 5% de la population mondiale, les communautés autochtones gèrent et protègent environ 80% de la biodiversité de la planète, selon la Banque mondiale. Il est donc essentiel que les chefs et cheffes d’État et de gouvernement du monde entier reconnaissent, lors de la COP30, la conférence des Nations unies sur le climat qui se tiendra à Belém, en Amazonie brésilienne, le rôle central des peuples autochtones et des activistes dans la protection de la nature et du climat. Pour cela, les droits humains et les droits politiques de toutes les personnes, en particulier des groupes vulnérables, doivent être protégés et renforcés.

Avec le sommet des peuples, la Cúpula dos Povos, la société civile brésilienne souhaite ouvrir un espace international afin de promouvoir des solutions équitables et développer des stratégies politiques pour leur mise en œuvre. La communauté internationale ne doit pas permettre que l’exploitation destructrice des terres et des ressources – ou la violence à l’encontre de celles et ceux qui s’y opposent – se poursuive.

 

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