L’image imprécise de la Suisse à 10 millions d’habitants

Comment aborder la migration de manière constructive
PAR: Patrik Berlinger, Régis Blanc - 11 décembre 2025

L’«initiative pour la durabilité» de l’UDC semble séduisante, mais en réalité, elle n’a rien à voir avec le développement durable. Au lieu de vouloir limiter l’immigration par des mesures dissuasives et la résiliation des relations avec l’UE, nous devrions nous demander qui prendra soin à l’avenir du nombre croissant de personnes âgées et comment maintenir l’économie à flot de manière durable.

Selon le baromètre des préoccupations, les thèmes «asile», «immigration» et «coûts du logement» sont les principales préoccupations des Suissesses et des Suisses, après les primes d’assurance maladie (qui augmentent chaque année), le changement climatique (qui ne ralentit pas) et le financement de l’AVS. Dans les villes, certains se plaignent des loyers inabordables, des trains bondés et des restaurants où l’on ne parle plus que l’anglais. Dans les régions rurales, beaucoup ont le sentiment d’être des «étrangers dans leur propre pays». Pour l’Union démocratique du centre (UDC), l’«immigration excessive» serait responsable de presque tous les problèmes en Suisse: de la perte des valeurs suisses et de l’augmentation de la criminalité à la pénurie de logements, en passant par la saturation des voies de communication, l’augmentation de la consommation d’énergie et le bétonnage du paysage.

L’UDC a déjà lancé de nombreuses initiatives contre l’immigration, mais la dernière en date est aussi la plus radicale. À première vue, l’«initiative pour la durabilité» semble inoffensive, car elle vise à limiter la population suisse à 10 millions d’habitantes et d’habitants d’ici 2050. Cependant, la libre circulation des personnes avec l’UE devrait être suspendue dès la moindre augmentation de la population. Le parti accepte ainsi délibérément la fin de la voie bilatérale. Et ce, sans qu’aucune alternative plausible ne soit en vue. À l’automne, le Conseil national a rejeté l’initiative sans contre-projet. Le Conseil des États délibérera sur l’initiative cet hiver. Selon l’état actuel des choses, elle sera soumise au vote en été 2026.

Main-d’œuvre importante et rajeunissement démographique

L’initiative exige avant tout des mesures dans le domaine de l’asile. Cela s’inscrit dans une tendance générale: depuis des années, l’UDC tente, par une rhétorique polémique, de réduire la migration aux «requérantes et requérants d’asile» et aux «migrantes et migrants illégaux». Or, le domaine de l’asile ne représente qu’une petite partie de l’immigration. Le parti occulte le fait que la grande majorité des personnes immigrantes proviennent de l’UE, en particulier des pays voisins. Et qu’ils sont nécessaires pour faire tourner l’économie. Les chiffres de 2024 le montrent: premièrement, 70% des personnes nouvellement arrivées proviennent d’un pays de l’UE ou de l’AELE dans le cadre de la libre circulation des personnes. Près de 30% proviennent de «pays tiers» tels que le Kosovo, la Turquie, la Macédoine du Nord et le Royaume-Uni. Seule une minorité d’entre eux – moins de 7% – sont des requérantes et requérants  d’asile. Contrairement à ce que laisse entendre l’UDC, le domaine de l’asile n’est donc guère pertinent dans le débat sur la Suisse à 10 millions d’habitantes et habitants (voir encadré ci-dessous).

Deuxièmement, celles et ceux qui viennent en Suisse sont des travailleuses et travailleurs dont le pays a un besoin urgent: des artisanes et artisans pour les chantiers de construction et des saisonnières et saisonniers pour les exploitations agricoles, mais aussi du personnel médical qualifié et des spécialistes pour les entreprises technologiques et l’industrie pharmaceutique. L’immigration n’entraîne donc ni un taux de chômage élevé ni une augmentation des aides sociales. Et troisièmement, ce sont des jeunes qui, compte tenu du faible taux de natalité et du vieillissement démographique, sont essentiels à la stabilité économique. Le secteur des soins, où de nombreuses professionnelles et professionnels étrangers (déjà formés!) s’occupent des personnes âgées dans les maisons de retraite, en est un exemple. L’immigration rajeunit la société, ce qui allège à long terme la charge pesant sur l’AVS.

Renforcer le pouvoir d’achat et tirer parti de la mobilité de la main-d’œuvre

Il est imprudent de vouloir limiter l’immigration par des méthodes controversées telles que la «mise en situation d’illégalité» et la dénonciation des traités européens, qui vont à l’encontre des besoins de stabilité démographique et économique. Il serait plus judicieux d’engager une discussion honnête sur les moyens de renforcer le pouvoir d’achat des «gens ordinaires». Par exemple, en encourageant la construction de logements abordables et en luttant contre les loyers abusifs, en investissant dans la prévention sanitaire et en réduisant les primes d’assurance maladie, en renforçant les transports publics et en rendant la mobilité durable abordable, en encourageant les emplois bien rémunérés dans l’économie verte et en garantissant des salaires équitables dans le secteur des soins.

Il serait également utile d’avoir une discussion objective sur les tendances démographiques internationales: en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, la population en âge de travailler augmente, tandis que de nombreux États sont confrontés au défi de créer suffisamment d’emplois correctement rémunérés. Dans le même temps, selon les estimations, les pays industrialisés pourraient avoir besoin de 750 millions de travailleuses et travailleurs d’ici 2050. Compte tenu du vieillissement de la population, la «pénurie de main-d’œuvre» prévisible ne pourra pas être entièrement comblée par une participation accrue des femmes au marché du travail ou par un relèvement de l’âge de la retraite. Cela vaut également pour la Suisse. Une solution réside dans la «mobilité internationale de la main-d’œuvre», où des programmes de coopération internationale contribuent à aligner les qualifications sur les besoins du marché du travail au-delà des frontières.

Les opportunités d’une migration de main-d’œuvre humaine et circulaire

Une migration de main-d’œuvre sûre, humaine et plus libre ne répond pas seulement aux besoins des segments hautement et faiblement qualifiés des pays d’accueil. Les migrantes et les migrants apportent également une contribution importante au développement économique de leur pays d’origine: grâce aux transferts de fonds, ils peuvent soutenir leurs familles et aider leurs proches à créer une petite entreprise ou à investir dans la formation. Lorsque ces personnes retournent dans leur pays d’origine après un certain temps, elles peuvent mettre à profit les connaissances acquises pour le développement économique et durable de leur pays.

Les migrantes et les migrants eux-mêmes en tirent profit en pouvant utiliser leur savoir-faire et leur formation et en bénéficiant de perspectives d’emploi et de formation continue prometteuses. Si les migrantes et les migrants sont encouragés à continuer à s’engager dans leur pays d’origine, à envisager un retour et à «circuler», il y a beaucoup à gagner. La clé pour promouvoir la migration circulaire consiste à leur donner le droit et la possibilité réelle de migrer à nouveau si leur retour échoue. Cette sécurité atténue les craintes légitimes liées au retour dans leur pays d’origine.

Nous devrions profiter de la période précédant le vote sur l’«initiative pour le développement durable» pour inciter les responsables politiques et la population suisses à se pencher sur les questions vraiment passionnantes liées à la migration.

* Régis Blanc est conseiller senior en matière de migration chez Helvetas.

En réalité, la question de l’asile n’est guère pertinente dans le débat sur la Suisse à 10 millions d’habitants. Et ce, pour une raison simple: alors que la part des requérantes et requérants d’asile dans l’immigration totale en Suisse est relativement faible, la grande majorité des personnes déplacées dans le monde restent dans les pays du Sud. Sous l’effet des gouvernements autoritaires, des conflits prolongés et des ravages climatiques, leur nombre est passé de 68 millions (2016) à environ 140 millions de personnes en 2025, rien qu’au cours des dix dernières années. Le plus gros «fardeau» lié à l’accueil des personnes réfugiées (par rapport à la puissance économique nationale et à la population locale) est supporté par des pays tels que la Colombie, le Pakistan et le Bangladesh, le Tchad, le Niger et l’Ouganda, ou encore le Liban et la Jordanie.

Helvetas connaît bien la situation: l’organisation de développement est notamment active dans le plus grand camp de réfugiés au monde. Celui-ci se trouve au Bangladesh, l’un des pays les plus densément peuplés au monde. Conçu à l’origine pour accueillir un demi-million de personnes, il ne cesse de s’agrandir: aujourd'hui, il compte près d’un million de Rohingyas. La situation semble depuis longtemps hors de contrôle et les réductions mondiales des aides financières accordées à l’ONU et aux ONG de développement pèsent lourdement. Il va de soi que les préoccupations des Suissesses et des Suisses concernant la situation dans le domaine de l’asile en Suisse doivent être prises au sérieux. Mais elles doivent aussi être replacées dans leur contexte (international).

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