Au cours des deux dernières années, la diplomatie suisse a démontré qu'elle était aussi capable de poser des jalons au plus haut niveau. Au vu des profonds clivages marquant la politique internationale, c'est une performance remarquable. Alors que l’action de la Suisse est saluée au niveau international, l'ONU et le multilatéralisme sont de plus en plus – et de manière totalement injustifiée – méprisés à l'intérieur du pays.
Durant les deux années de participation de la Suisse au Conseil de sécurité de l'ONU (2023/2024) le monde a connu une instabilité croissante et a vu des blocs antagonistes se former. Le nombre de conflits a augmenté de manière spectaculaire: il y a 25 ans, on en recensait une vingtaine dans le monde, contre plus de 120 aujourd'hui. Pourtant, seuls quelques-uns sont à la une des journaux. Alors que l'opinion publique se concentre surtout sur l'Ukraine et le Proche-Orient, de nombreuses «crises oubliées» passent inaperçues: en Éthiopie, une guerre civile qui dure depuis six ans a fait des centaines de milliers de morts. Au Soudan, 26 millions de personnes souffrent de la faim et 13 millions sont en fuite. Et en République démocratique du Congo, le nombre de personnes déplacées internes a dépassé les sept millions. Dans ce contexte, les belligérants violent souvent de manière ciblée et systématique le droit international humanitaire, ignorent la neutralité des acteurs humanitaires et compliquent ou empêchent l'aide aux populations en détresse. Les mesures d'austérité prises par les pays riches exercent une forte pression sur le financement international de l'aide humanitaire.
Parallèlement, les tensions entre les puissances mondiales s'aggravent et les blocs nouvellement formés conduisent à une polarisation toujours plus forte. C'est ce que l'on constate par exemple lors des conférences sur le climat et l'environnement ou lors de la recherche de solutions communes sur les questions de migration et de commerce. Tout cela rend de plus en plus impossible la résolution des conflits par le biais de la diplomatie internationale. Ainsi, malgré près de 75 (!) réunions depuis le début de l'agression russe contre l'Ukraine, le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas pu adopter une seule résolution sur ce conflit. Sur le Proche-Orient également, les fossés sont évidents: sur onze résolutions proposées concernant la guerre à Gaza, sept ont été bloquées et seules quatre ont été adoptées.
La diplomatie suisse pose des jalons importants
En 2022, le Conseil fédéral avait fixé quatre priorités thématiques pour l'adhésion de deux ans au Conseil de sécurité: la promotion de la paix, la protection des populations civiles dans les conflits armés, la «sécurité climatique» et le renforcement de l'efficacité du Conseil de sécurité de l'ONU. Partant de là, la diplomatie suisse – après avoir donné des impulsions importantes en 2023 déjà – a pu obtenir quelques succès concrets en 2024 également. Ainsi, en mai 2024, le Conseil a adopté la résolution 2730 sur la protection du personnel humanitaire, présentée par la Suisse. Elle réitère l'exigence de placer «le personnel humanitaire et le personnel de l'ONU» sous une protection spéciale dans les situations de conflit. En mars 2024 déjà, le Conseil a adopté une résolution négociée par les dix membres non permanents du Conseil sur un cessez-le-feu à Gaza. Cette résolution portait également la signature de la Suisse qui, dans ses prises de position, a mis l'accent sur le respect des obligations de droit international par toutes les parties au conflit.
Dans des dossiers régionaux comme l'Afrique de l'Ouest, la Syrie et la Bosnie-Herzégovine, la Suisse a également joué un rôle important de médiatrice dans les négociations et les décisions. Dans le domaine de la promotion de la paix, elle a souligné le rôle des femmes dans la sécurité et la paix ainsi que le lien entre climat et sécurité. En outre, elle a activement marqué l'agenda du Conseil, par exemple en organisant des débats de haut niveau sur l'Ukraine et la sécurité nucléaire ainsi que sur les questions climatiques. En tant que 'gardienne du droit international' avec le deuxième siège de l'ONU à Genève, la représentation suisse à New York s'est en outre engagée – souvent dans un langage un peu général, froid et diplomatique – pour la protection des civils et la promotion des droits humains. La Suisse a également introduit des approches innovantes comme la «diplomatie scientifique» au sein du Conseil.
La valeur de l'engagement diplomatique reste souvent cachée
Les organisations de la société civile comme Helvetas ont salué dès le début l'adhésion de la Suisse au Conseil de sécurité de l'ONU. Très tôt, elles ont proposé au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) des priorités concrètes pour lier la politique de sécurité et la politique de développement. Il s'agissait notamment de la faim dans le monde, de la politique climatique, du rôle des femmes pour la paix et la sécurité, du droit international humanitaire et du renforcement des droits humains – mais aussi de conflits concrets et de crises humanitaires pour lesquels la Suisse devait contribuer à trouver une solution. Le DFAE s'est également montré intéressé par une collaboration avec la société civile et a établi, à partir de 2021, des rencontres semestrielles avec des organisations de développement et de défense des droits humains ainsi que des scientifiques. Entre-temps, des rencontres en petit comité sur des thèmes spécifiques ont eu lieu. Lorsque le Parlement s'est penché sur le rôle de la Suisse au sein du Conseil de sécurité, il a fixé des priorités supplémentaires en termes de contenu, comme la crise humanitaire au Myanmar, la situation des personnes réfugiées rohingyas au Bangladesh ou la crise mondiale de la faim et de l'alimentation.
Certains de ces thèmes ont été repris dans la position officielle de la Suisse, ainsi que dans des communiqués et des prises de position isolés, sur lesquels la Confédération a également communiqué régulièrement via les réseaux sociaux. Pour les personnes extérieures ne connaissant pas les codes et les processus diplomatiques, il était toutefois difficile, voire impossible, d'évaluer la portée de certaines interventions et d'identifier des progrès concrets. L'engagement de la Suisse est également passé inaperçu auprès du grand public. Si son rôle au sein du Conseil de sécurité faisait encore l'objet de controverses avant 2023 (mot-clé: compatibilité avec la neutralité suisse), il n'y a pratiquement plus eu de débat public depuis janvier 2023. On peut y voir un signe positif du bon fonctionnement de la diplomatie suisse – ou au contraire une occasion ratée de faire comprendre à un large public la valeur de l'engagement international de la Suisse.
Une forte présence à New York, un manque de responsabilité à Berne
Il y aurait eu en tout cas un potentiel de discussion. A New York, la Suisse a défendu une position axée sur le droit international et les droits humains, alors que la politique fédérale à Berne est restée contradictoire à ce sujet.
Alors que le Conseil fédéral a souligné à plusieurs reprises à New York la solidarité de la Suisse avec l'Ukraine, il se montre réticent à soutenir effectivement ce pays déchiré par la guerre – et détourne encore les fonds correspondants du budget de la coopération au développement. De même, la Suisse refuse de reprendre toutes les sanctions de l'UE à l'encontre de la Russie, et le fait que les oligarques russes puissent continuer à bénéficier de conseils juridiques et que les filiales de négociants suisses en matières premières continuent à contourner les sanctions dans le négoce du pétrole et du gaz est un sujet de controverse.
L'écart est également manifeste en matière de politique climatique. Alors qu'au Conseil de sécurité, la Suisse a apporté des approches innovantes pour lier le climat et la sécurité, elle a dégringolé à la 33e place du Climate Change Performance Index. Les critiques portent notamment sur l'insuffisance de la protection du climat à l'intérieur du pays, sur la très grande compensation climatique dans les pays pauvres et sur le marché financier, qui est toujours beaucoup trop faiblement réglementé et qui investit librement dans les industries fossiles du monde entier. Et lors de la COP29, il est apparu clairement que la Suisse n'est pas non plus disposée à développer de manière adéquate son soutien climatique aux pays pauvres.
Enfin, la réduction du budget de la coopération internationale (CI), décidée peu avant Noël, est particulièrement incohérente et à courte vue. Certes, les conséquences concrètes sur l'engagement de la Suisse ne sont pas encore connues en détail. Mais il est clair que plusieurs programmes et projets devront être arrêtés, ce qui nuira à la bonne réutation dont jouissait jusqu'à présent la coopération suisse au développement.
Une politique étrangère ouverte et solidaire est nécessaire
Malgré toutes les déclarations et les résolutions importantes adoptées au Conseil de sécurité, l'engagement international de la Suisse est donc de plus en plus à la traîne. Le scepticisme croissant de la politique intérieure à l'égard de l'ONU et du multilatéralisme en général, le retour à des intérêts personnels à court terme et le repli sur la politique intérieure qui en découle mettent en péril la crédibilité de la Suisse en tant qu'État dépositaire des Conventions de Genève et 'gardien du droit international'.
Il est en revanche rassurant de savoir que la Suisse sera membre du Conseil des droits de l'homme de l'ONU de 2025 à 2027 et qu'elle en assumera la présidence l'année prochaine. Cela permettra de poursuivre différentes initiatives du Conseil de sécurité. Mais elle ne pourra le faire de manière crédible que si elle oriente systématiquement sa politique étrangère et de développement vers l'Agenda 2030 et ses objectifs de développement durable global. Ce n'est qu'ainsi que la Suisse parviendra à renforcer sa réputation de force crédible en faveur de l'humanité, de la paix et de la justice, non seulement par des paroles claires sur le terrain diplomatique, mais aussi par des actions mesurables dans le monde.