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Conséquences de la pandémie de Covid-19 au Pérou

La pandémie dévoile les manquements d'une réussite économique.
PAR: Kaspar Schmidt - 16 octobre 2020
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Ces deux dernières décennies, le pays émergent qu'est le Pérou a connu une croissance économique impressionnante, mais la pandémie de coronavirus a provoqué une chute. Aujourd'hui, le Pérou est l'un des pays où les cas d'infection et de mortalité par million d'habitants sont les plus élevés dans le monde. L'économie baisse, la pauvreté augmente et les institutions étatiques manquent de ressources.

Un dimanche après-midi d'octobre à Lima. Petits signes d'espoir pour la normalité: en septembre, le gouvernement a réduit le couvre-feu du dimanche à l'interdiction de la circulation avec des véhicules privés. Les familles et les couples se promènent dans les rues et les parcs, ou font des tours à vélo. Après un hiver chargé de brouillard, le printemps est dans l'air et stimule l'atmosphère, même si toutes les personnes qui se déplacent portent un masque, conformément aux directives, et beaucoup aussi une visière en matière plastique, voire même une combinaison de protection intégrale. Pour la première fois depuis la mi-mars, les gens se rendent à nouveau dans des restaurants. L'immense métropole qu'est Lima se remet progressivement en mouvement.

Cas d'infection et de décès parmi les plus élevés dans le monde

Fin juillet, le nombre de nouvelles infections quotidiennes avait à nouveau fortement augmenté depuis la fin avril et mai. Mais la situation s'est améliorée depuis fin septembre: le nombre de décès quotidiens compte deux chiffres, après avoir assemblé trois chiffres sans discontinuer depuis la mi-mai. Le nombre de nouvelles infections est maintenant d'environ 3300 par jour.

Début septembre, l'ambiance était encore morose. Beaucoup de personnes avaient la sensation de porter un foulard qui se resserrait lentement autour de leur cou. Pratiquement tout le monde a des parents ou des connaissances qui ont été malades ou sont décédés. Les chiffres nationaux l'illustrent: depuis des mois, le Pérou, avec une population de 33 millions de personnes, est en tête de liste des cas médicalement confirmés. Le 14 octobre, le pays occupait la 8e place avec plus de 854 000 infections et 33 300 décès. La plus souvent, d'autres pays émergents suivent dans ces statistiques, notamment certains d'Amérique latine (Brésil, Colombie, Argentine, Mexique). Avec 25 800 infections et 1000 décès par million d'habitants, le Pérou est l'un des pays qui enregistre les chiffres les plus élevés dans le monde.

Toutefois, les études sur la «surmortalité» (soit le nombre accru de décès comparativement aux prévisions s'appuyant sur les années précédentes) expliquent avant tout que le nombre effectif de décès liés au coronavirus au cours des derniers mois devrait certainement être beaucoup plus élevé au Pérou que le chiffre avancé, comme le confirme Waldo Mendoza, professeur d'économie à l'université catholique du Pérou (PUCP): «Nous avons 80 000 décès qui sont presque tous attribuables au Covid-19, et non 32 000 comme annoncé officiellement.»

À titre de comparaison: le 14 octobre, la Suisse figurait à la 55e place sur la liste des cas d'infection par pays, avec 68 700 infections et 2100 décès; on y dénombre ainsi 7920 infections et 243 décès par million d'habitants. Au Pérou, depuis le début de la pandémie , environ 124 000 tests de dépistage pour un million de personnes ont été effectués, contre 177 000 en Suisse.

Les inégalités sociales, terrain propice à la propagation du virus

Pourquoi la pandémie a-t-elle frappé si durement au Pérou? Comme dans d'autres pays émergents, les déplacements internationaux des classes supérieure et moyenne a accéléré la propagation du virus au début. Les fortes inégalités sociales et la faiblesse des institutions publiques ont fait que les mesures d'envergure rapidement décidées par le gouvernement n'ont partiellement produit aucun effet. Au Pérou, jusqu'à 70% des personnes actives économiquement travaillent dans le secteur informel. Bien que le pays fasse partie des «pays à revenu intermédiaire supérieur» selon la classification de la Banque mondiale, environ 20% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté national en 2019 et devait se débrouiller avec moins de 5,50 dollars par jour et par habitant. Beaucoup de personnes – travailleuses et travailleurs à la journée, vendeuses et vendeurs de rue, employées et employés de maison, etc.– dépendent d'un revenu quotidien et doivent se rendre à l'extérieur pour travailler, malgré les directives de quarantaine. De plus, les familles pauvres vivent souvent dans des espaces réduits. Les distances peuvent difficilement être respectées et s'isoler est impossible. Environ trois quarts des ménages pauvres n'ont pas de frigidaire et doivent faire des achats fréquents. En conséquence, les marchés locaux, mais aussi les banques qui ont versé des aides publiques, sont devenus des foyers d'infection.

Le Pérou a mis en place un important paquet d'aides économiques, comparativement à ce qui s'est fait au niveau régional. Mais les services publics souffrent d'un sous-financement permanent, malgré l'essor des matières premières de la dernière décennie. Les conséquences – notamment des hôpitaux publics sous-équipés et des installations sanitaires précaires dans les écoles publiques – rendent difficiles les mesures de prévention et les soins médicaux.

Pauvreté croissante et récession économique

Les lourdes conséquences de la crise du Covid-19 frappant l'économie et la société se font aujourd'hui toujours plus manifestes. Selon la banque centrale péruvienne, environ 6,7 millions de Péruviennes et de Péruviens ont perdu leur travail (soit 40 % de l'ensemble des employés) au cours du deuxième trimestre 2020 en raison de l'effondrement de la production et de l'organisation très peu structurée de l'économie péruvienne.

Selon les prévisions, le taux de pauvreté passera de 20 à 27% de la population du pays. Concrètement, cela signifie que 2,4 millions de personnes au Pérou seront nouvellement touchées par la pauvreté. Cela ramène la société péruvienne au niveau de la pauvreté prévalant en 2011: l'importante diminution de la pauvreté enregistrée depuis le début de ce millénaire sera donc réduite à néant.

Au cours des deux dernières décennies, l'économie du Pérou a connu une forte croissance mesurée par son produit intérieur brut (PIB). Le pays a enregistré la croissance économique annuelle moyenne la plus élevée d'Amérique latine. Entre 2001 et 2019, la croissance moyenne du PIB a été de 4,9 % par an et pendant trois années, elle a même oscillé de 8% à 9%. Le principal facteur de cette croissance a été la forte demande de matières premières et de services.

Cependant, la pandémie de coronavirus, avec ses limitations profondes et à long terme des activités économiques, entraîne aujourd'hui un sévère effondrement économique. La banque centrale péruvienne s'attend à ce que le PIB chute de près de 13 % cette année et ne retrouve le niveau du quatrième trimestre de 2019 qu'en 2022. Toutefois, compte tenu des incertitudes actuelles et de la forte dépendance de certains secteurs, tels que le tourisme, à l'égard des pays étrangers, ces projections paraissent optimistes dans la perspective actuelle.

La crise a révélé sans ménagement les manquements des gouvernements péruviens précédents: malgré la croissance économique, le pays n'a pas suffisamment investi dans les services publics, dans des emplois sûrs et des conditions de travail équitables, dans les réseaux de sécurité sociale et dans un bon système de santé. Par conséquent, les graves conséquences économiques et sociales de la pandémie et de la crise économique vont sans aucun doute marquer le Pérou au cours des prochaines années.

La coopération au développement internationale peut apporter des impulsions et contribuer à résoudre certains de ces problèmes pour soutenir les groupes défavorisés de la population péruvienne. Elle reste donc nécessaire et importante, même dans le cadre d'un pays émergent au potentiel économique élevé.