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15 novembre 2022

Échappatoire fiscale pour les profiteurs de guerre

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La Commission de l’économie et des redevances du Conseil national (CER-N) a décidé d’introduire une taxe au tonnage synonyme de nouvelle échappatoire fiscale pour les profiteurs de guerre.

Communiqué de presse d'Alliance Sud, l'organisation faîtière de politique de développement dont Helvetas et d'autres grandes ONG suisses sont membres.

La CER-N a décidé d'introduire une taxe au tonnage pour les navires marchands gérés depuis la Suisse. Ce nouveau régime fiscal spécial a pour effet qu’en Suisse les armateurs et les compagnies maritimes des EMN ne seront plus imposés selon l'impôt normal sur le bénéfice, mais profiteront d’une imposition forfaitaire : à l'avenir, le critère déterminant pour l'imposition ne sera plus le bénéfice réalisé dans les activités de transport, mais la capacité de charge des navires qu'une compagnie maritime exploite. « Cela va à l'encontre de tous les principes d'une imposition équitable des entreprises », s’emporte Dominik Gross, expert en politique fiscale internationale chez Alliance Sud. « Pour nous, citoyennes et citoyens ordinaires, cela signifierait que nous ne paierions plus d'impôt sur le revenu, mais que le volume de notre porte-monnaie déciderait du montant des impôts versés. »

Pas étonnant dès lors que le Conseil fédéral se soit longtemps montré sceptique quant à la conformité de l'introduction de cette taxe avec le principe constitutionnel selon lequel les contribuables doivent être imposés en fonction de leur capacité économique. Deux avis de droit différents ont abouti à des conclusions divergentes sur la question. « Pour une majorité de la CER-N, ce doute sur la conformité constitutionnelle de la taxe au tonnage ne posait apparemment pas de problème », s’étonne Dominik Gross. De surcroît, ce ne sont pas seulement les compagnies maritimes qui profiteront de ce privilège fiscal, mais aussi les négociants suisses en matières premières, qui exploitent souvent eux-mêmes les navires marchands transportant leurs biens commerciaux. C'est précisément à ces EMN, qui réalisent actuellement des bénéfices record « grâce » à la guerre en Ukraine et à la pénurie de matières premières qu’elle engendre, qu'une majorité de la CER-N entend faire des cadeaux fiscaux supplémentaires. Et Dominik Gross de constater : « La charge fiscale de ces entreprises tombera ainsi à moins de 10% de leurs bénéfices — alors que d'autres pays discutent de taxes plus élevées pour ces entreprises ». Lors de la session d’hiver, Alliance Sud militera donc pour que le Conseil national n'entre pas du tout en matière sur ce projet de sa commission économique.

Application nationale égoïste de l'imposition minimale de l'OCDE

La CER-N a en outre adopté sa proposition de mise en œuvre de l’imposition minimale de l’OCDE. Elle entend l’appliquer moyennant un impôt complémentaire national. Même si une grande partie des bénéfices pouvant être imposés plus lourdement (15%) avec cet impôt proviennent de l'étranger et du Sud surtout, les nouvelles recettes fiscales doivent rester en Suisse, selon la volonté de la CER-N. « Les membres de cette commission se moquent totalement du fait que les pays pauvres auraient urgemment besoin de recettes fiscales supplémentaires pour lutter contre les conséquences de la pandémie et des crises alimentaire, climatique et de la dette », tonne Dominik Gross. « Et ce, même si la Suisse, pays à faible imposition et comptant parmi les sites majeurs d'implantation d’EMN dans le monde, est largement responsable du fait que celles-ci ne déclarent pas leurs bénéfices là où ils sont générés, mais là où elles paient le moins d'impôts ». Alliance Sud juge cette situation inacceptable. Le plénum du Conseil national doit dès lors définir des mesures pour que les pays d’origine des bénéfices qui seront plus lourdement imposés en Suisse dès 2024 bénéficient également de l'imposition minimale.

Pour de plus amples informations:

Dominik Gross, expert en politique fiscale chez Alliance Sud, dominik.gross@alliancesud.ch, tél. 078 838 40 79