Par ses crédits, ses investissements et ses assurances, le secteur financier suisse dispose d’un levier important pour protéger le climat, l’environnement et la biodiversité. Comme la responsabilité individuelle et l’autorégulation s’avèrent être une utopie, les électeurs et les électrices devraient bientôt se prononcer sur le rôle que doit jouer le secteur financier dans le respect des objectifs climatiques de Paris.
Investir aujourd’hui encore dans la production d’électricité à partir de combustibles fossiles, c’est retarder la décarbonisation et augmenter la probabilité et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes dans le monde. L’UBS en est consciente. Elle reste néanmoins un investisseur important dans le groupe énergétique philippin San Miguel, alors que les institutions financières européennes ont mis fin à leurs transactions avec celui-ci. Déboiser la forêt tropicale alimente le changement climatique tout en restreignant les droits fonciers des communautés indigènes et en violant souvent leurs droits humains. L’UBS devrait également en être consciente. Et pourtant, elle investit dans des groupes agricoles brésiliens qui sont impliqués dans des défrichages illégaux en Amazonie.
Chaque année, les banques et les assurances suisses financent et assurent des investissements de plusieurs milliards de francs. Selon McKinsey, la place financière helvétique est responsable de 18 fois plus d’émissions de CO2 que la quantité de CO2 émise en Suisse.
Les opérations liées aux investissements et aux assurances nuisibles au climat sont en contradiction flagrante avec les objectifs climatiques de Paris de 2016. Pour rappel, l’accord stipule, outre l’objectif de 1,5 degré et l’adaptation nécessaire aux conséquences négatives du climat, que les flux financiers publics et privés doivent être orientés vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient au climat. La communauté internationale a donc souligné il y a neuf ans déjà le rôle central et la responsabilité du système financier dans la lutte contre la crise climatique. La Suisse a ratifié l’accord et elle est tenue, en vertu du droit international, de contribuer à la réalisation des objectifs.
Cette contribution est réglée par la Loi sur la protection du climat. Elle doit permettre à la Suisse d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, ce qui nécessite une orientation vers des flux financiers à faible émission. Elle a été acceptée par les citoyennes et les citoyens en été 2023 avec 59,1% de voix favorables. Ils et elles savent que la protection du climat est dans leur intérêt. La loi encourage l’innovation durable et renforce l’économie nationale. Elle rend la Suisse moins dépendante des importations d’énergie fossile et, en encourageant les énergies renouvelables, contribue à ralentir le réchauffement de la planète et donc à prévenir les phénomènes météorologiques extrêmes qui touchent aussi de plus en plus souvent la Suisse.
La mise en œuvre n’avance pas
Cependant, pour mettre en œuvre les objectifs politiques, la majorité du Conseil fédéral et du Parlement mise sur des mesures et des recommandations volontaires afin de créer la transparence. Aucune directive contraignante ni aucun mécanisme indépendant de vérification et de sanction ne sont prévus. Le reporting climatique introduit en 2024 ne concerne que les grandes institutions financières et ne contient pas de normes minimales. Et les Swiss Climate Scores du Secrétariat d’État aux questions financières internationales sont volontaires et appliqués jusqu’à présent de manière conséquente seulement par quelques établissements financiers. Leur objectif serait d’assurer la meilleure transparence possible en matière de placements financiers afin d’encourager les décisions d’investissement respectueuses du climat. Une motion qui aurait prévu une réglementation contraignante au cas où les mesures actuelles ne seraient pas efficaces d’ici à 2028 a été rejetée par le Conseil national, dominé par les partis bourgeois.
En janvier 2025 au plus tard, il est apparu clairement pourquoi les mesures volontaires et les promesses du secteur financier ne sont pas crédibles: les six plus grandes banques américaines et le plus grand gestionnaire de fortune du monde, Blackrock, ont annulé leurs promesses climatiques faites seulement quatre ans auparavant. L’UBS est certes exemplaire dans le cadre de la «Net Zero Banking Alliance», mais elle affaiblit massivement ses propres promesses climatiques.
Les établissements financiers ignorent ainsi la science du climat et font passer les profits rapides avant la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, il ne s’agit plus seulement de conscience écologique, de morale et d’éthique, mais aussi de leurs propres intérêts. En effet, les établissements financiers risquent bientôt de se retrouver avec des «actifs échoués»: si la décarbonisation mondiale progresse, de nombreuses réserves fossiles n’atteindront pas les rendements escomptés, soit parce que la demande et les prix baissent, soit parce qu’elles ne peuvent plus être exploitées. Dans le même temps, les dommages climatiques augmentent, ce qui ne peut pas être dans l’intérêt des banques et des assurances.
Avec une nouvelle initiative, la pression de la population augmente
La discussion montre que la Suisse avance à pas beaucoup trop petits. C’est pourquoi l’Alliance climatique – dont Helvetas est membre – a lancé, fin 2024, en collaboration avec le WWF, Greenpeace et des politiciennes et politiciens de tous les partis fédéraux sauf l’UDC, l’Initiative sur la place financière.
L’initiative ne s’adresse pas aux banques locales, mais vise les transactions internationales. Elle ne concerne ni les opérations hypothécaires nationales ni les crédits aux PME. Elle demande que les banques et les assureurs suisses, les gestionnaires de fortune et les caisses de pension exposent, au moyen de ce qu’on appelle des «plans de transition», les stratégies et les objectifs intermédiaires de même que les mesures et les ressources qu’ils utilisent pour orienter leurs activités commerciales avec des entreprises à l’étranger en fonction des objectifs internationaux sur le climat et la biodiversité. L’initiative interdit uniquement le financement et l’assurance de projets d’extraction d’énergies fossiles comme le charbon et le pétrole.
Avec ces objectifs, l’Initiative sur la place financière s’inspire de l’Accord de Paris sur le climat et également de la «Net Zero Roadmap» de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Elle n’est donc pas une revendication de gauche. Son contenu fait depuis longtemps l’objet d’un consensus scientifique sur le climat et a été décidé par les gouvernements au niveau international. Le reproche d’un excès de zèle suisse ne tient pas: l’initiative ne créerait pas un «Swiss Finish» qui désavantagerait la Suisse dans la concurrence internationale. Au contraire, d’autres places financières sont déjà plus avancées et ont introduit une réglementation plus claire, comme celles de Singapour, de la Grande-Bretagne et de l’UE.
Répondre à ses propres exigences
Le Conseil fédéral entend positionner la Suisse comme une place financière responsable et un hub pour la «Sustainable Finance», par exemple avec «Building Bridges», un mouvement basé à Genève qui veut utiliser le pouvoir de la finance pour la durabilité. Or, ce faisant, il n’est pas à la hauteur de ses propres exigences. Si le Conseil fédéral et le Parlement restent encore longtemps inactifs, les électeurs et les électrices auront bientôt le pouvoir d’inscrire dans la Constitution l’obligation pour le secteur financier suisse d’assumer davantage de responsabilités. Alliance Sud, le Do and Think Tank des organisations suisses de développement, soutient l’initiative populaire afin que la Suisse actionne son plus grand levier pour la protection mondiale du climat et prenne des mesures importantes pour ne pas dépasser l’objectif de 1,5 degré de l’Accord de Paris.
Des journées nationales de collecte de signatures sont prévues en avril et en mai 2025. Après le succès de la collecte de signatures pour l’Initiative pour des multinationales responsables, il ne serait pas surprenant que celle sur la place financière recueille également les 100’000 signatures nécessaires. Le Parlement serait alors sollicité et élaborerait probablement un contre-projet valable. La demande d’un secteur financier propre et responsable est trop largement soutenue pour qu’il prenne le risque d’une votation populaire sur l’initiative.