Palm oil plantation in Guatemala | © iStock/Graeme Kennedy (Palm oil plantation in Guatemala)

Des produits d’exportation destructeurs

Le soja, l’huile de palme et l’avocat sapent les droits humains
PAR: Patrik Berlinger - 05 avril 2024
© iStock/Graeme Kennedy (Palm oil plantation in Guatemala)

De nombreux pays du Sud orientent leur agriculture vers l’exportation. Alors que l’agrobusiness en profite, les droits des populations paysannes et indigènes sont souvent bafoués, avec des conséquences sociales et écologiques pour l’ensemble du pays. 

Le soja, l’huile de palme et l’avocat ont un point commun: pour satisfaire la demande croissante des pays riches, leur culture nécessite d’immenses surfaces agricoles dans les pays d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale. Mais avec quelles conséquences pour les populations et l’environnement de ces pays? Trois brèves études de cas au Paraguay, au Guatemala et en Colombie montrent les défis et les problèmes, mais aussi la responsabilité de l’Occident. 

Paraguay: hausse des exportations de soja pour l’alimentation animale 

Au Paraguay, la propriété foncière est répartie de manière extrêmement inégale. Parallèlement, plus de 90% des surfaces agricoles sont cultivées pour l’exportation – principalement du soja génétiquement modifié en monoculture, surtout pour l’alimentation des animaux d’élevage. Pour faire pousser le soja, il faut de grandes quantités de pesticides dangereux – même ceux qui sont interdits depuis longtemps dans l’UE parce qu’ils nuisent à la santé des êtres humains. Quatre multinationales agricoles profitent particulièrement du commerce des plantes génétiquement modifiées dans ce pays d’Amérique du Sud: Monsanto/Bayer, Dow Agrosciences, BASF, ainsi que Syngenta, dont le siège est en Suisse. 

Depuis 2002, le Paraguay a perdu environ la moitié de la surface sur laquelle il produisait autrefois des aliments de base pour ses propres besoins. Les entreprises agricoles les achètent souvent à bas prix à la population rurale, qui est parfois  victime d’expulsions forcées. Là où les paysannes et les paysans et les indigènes sont dépossédés de leurs terres, ils perdent leurs semences traditionnelles, car ils ne peuvent plus les produire et les cultiver. Et ils ne peuvent plus faire valoir leur droit à l’alimentation et à l’eau potable. Les personnes concernées s’installent souvent dans des agglomérations urbaines, mais elles ont du mal à y trouver de nouveaux moyens de subsistance. 

Dans ce modèle d’agrobusiness orienté vers l’exportation, le profit compte plus que les droits des populations paysannes et indigènes. L’autosuffisance en légumes et en fruits devient de plus en plus difficile; les aliments doivent toujours plus souvent être importés. De plus, ce modèle nuit à la nature: les monocultures de soja n’entraînent pas seulement une déforestation à grande échelle, mais la culture industrielle nuit également à la biodiversité, notamment parce que les cours d’eau sont souvent empoisonnés par des produits agrochimiques.  

Guatemala: les géants de l’huile de palme chassent les petits agriculteurs et agricultrices de leur business  

Au Guatemala, la surface utilisée par l’industrie de l’huile de palme a presque doublé au cours des dix dernières années. Le marché mondial est certes dominé par l’Indonésie et la Malaisie, qui représentent ensemble plus de 80% de l’offre, mais en Amérique latine, le Guatemala occupe la deuxième place après la Colombie – et est désormais le sixième producteur mondial. L’huile extraite des fruits de palme entre dans la composition de la plupart des produits industriels, dont l’alimentation animale, le chocolat et les glaces, les savons et les produits d’entretien, les shampooings, les dentifrices et les déodorants – et de plus en plus dans les biocarburants. 

Au Guatemala, les rapports de force dans l’industrie de l’huile de palme sont extrêmement inégaux: les grandes entreprises possèdent la quasi-totalité des surfaces de palmiers à huile, tandis que les petites paysannes et les petits paysans en contrôlent à peine 3%. Des milliers de personnes ont été expulsées de leurs terres au cours des dix dernières années pour faire place à des monocultures d’huile de palme. De nombreux anciens petits paysans et anciennes petites paysannes travaillent aujourd’hui pour les géants de l’huile de palme, car il n’y a guère d’autres emplois dans la région. Plus de 80% de la production guatémaltèque d’huile de palme est exportée, en grande partie vers l’Europe. Les acheteurs sont souvent de grandes multinationales de l’alimentation et des boissons comme Cargill, Unilever, Mondelez et PepsiCo. 

L’huile de palme du Guatemala est souvent considérée ou vendue comme une alternative durable aux géants de l’huile de palme d’Asie du Sud-Est, car plus de 60% des plantations guatémaltèques sont certifiées par le label pour une huile de palme socialement et écologiquement durable (RSPO). La moyenne en Amérique latine n’est que de 35%, et même de moins de 20% au niveau mondial. Cependant, une étude récente montre que malgré la certification largement répandue, les plantations sont responsables de 28% de la déforestation dans la région et que plus de 60% de d’entre elles empiètent sur des zones de biodiversité importantes. Le label n’atteint donc pas l’objectif escompté en matière de normes sociales et environnementales. 

Colombie: un nouveau producteur d’avocats pour l’Europe 

En tant que nouvelle culture, l’avocat a conquis de vastes régions en Colombie. En l’espace de dix ans, le pays sud-américain est devenu le deuxième producteur mondial d’avocats, derrière le Mexique, grâce à un climat tropical et à des conditions favorables aux investissements étrangers. Dans le même temps, les exportations vers l’UE sont passées de 500 tonnes à près de 100'000 tonnes. Seul le Pérou livre davantage d’avocats à l’Europe. Avec le soutien de l’État à la culture de l’avocat, un modèle de culture et de développement basé sur l’exportation s’impose en Colombie, tandis que les ouvrières et ouvriers agricoles locaux perdent leur souveraineté alimentaire. D’autres produits agricoles du pays, comme les bananes et le café, sont également produits principalement pour l’exportation. 

Les problèmes liés au boom de l’avocat sont multiples: certes, de nouveaux emplois sont créés. Mais en même temps, les entreprises transnationales évincent d’innombrables petites paysannes et petits paysans en leur achetant des terres à bas prix et dans de mauvaises conditions pour y installer de vastes monocultures d’avocats. Pour les immenses plantations gourmandes en eau, de plus en plus de forêts doivent céder leur place, dont certaines se situent dans des zones protégées et seraient importantes comme puits de carbone dans la lutte contre le changement climatique mondial. Pour la culture, les entreprises productrices utilisent des produits agrochimiques non autorisés, tout en veillant à ce qu’il n’y ait plus de résidus dans les avocats destinés à l’exportation. Alors que des fruits immaculés atterrissent en Europe, la nappe phréatique colombienne est contaminée et devient de plus en plus rare. 

Ce fruit, très apprécié en tant que superaliment, est un élément important de la cuisine végane. Mais la question se pose: est-il justifiable de promouvoir la consommation de fruits exotiques, dont la production nécessite une énorme quantité d’eau et d’énergie pour le transport et la réfrigération depuis la Colombie, et qui ont un impact aussi négatif sur les écosystèmes locaux – le régime des eaux, la biodiversité et, en fin de compte, le climat? D’autant plus que les avocats ne sont pas un aliment de base essentiel pour lutter contre la faim dans le monde, mais un produit de luxe. 

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